Qu’est-ce que le nüshu (女书 ) ?

Tout d’abord, qu’est ce que le Nüshu ? C’est une écriture, basée sur une culture féminine locale dont l’écriture a été le vecteur. Un patrimoine grapho-culturel, une socio-graphie.

Le nushu exposé au Musée des Ecritures du monde à Figeac, voir rubrique NEWS

L’écriture des femmes

Fiche d’état civil : lieu, époque, grandes lignes

Le Nüshu, c’est l’écriture des femmes de Jiangyong (江永女书), utilisée par les femmes uniquement, sur un territoire délimité au sud-ouest de la Chine, dans une région reculée du sud du Hunan, le district de Jiangyong, dans une vingtaine de villages avec pour fer de lance le village de Shangjiangxu. Il s’agit d’une région où les populations d’origine Yao ont été métissées (depuis 600 ans) avec la population Han.
Cette écriture est basée sur le dialecte local, (le chengguan tuhua), qui est une variante du mandarin, (le xiangnan). Cette écriture était transmise entre les femmes uniquement, et utilisée dans le cercle des brodeuses de Jiangyong. Elle est écrite sur papier et tissu. Elle servait à transcrire leurs chants, les légendes, à écrire des vœux pour le temple sur de éventails ou des chaussons, à écrire des vœux de mariage, et à écrire des lettres de correspondance entre femmes.

C’est une écriture qui ressemble aux caractères chinois, mais elle a une forme en losange (différente du carré où s’inscrivent les sinogrammes de « l’écriture régulière »). Les traits sont fins, effilés, et c’est pour cela qu’on l’a aussi appelée ‘écriture de moustique’. C’est une écriture syllabique, (majoritairement) ‘phonétique’ car elle transcrit les sons du dialecte local, elle est écrite sous une forme poétique, en sentences de 7 caractères. La grande majorité des corpus retrouvés date au plus tôt de trois générations, (c’est-à-dire depuis la fin des Qing).

Cette écriture a été le vecteur d’une culture féminine yao/han : chants et broderies

Le Nüshu a existé dans un contexte socio-culturel spécifique. : à Jiangyong, on se trouve dans un environnement rural, en autosuffisance, avec une influence de la minorité Yao, notamment avec une certaine liberté des femmes qui dépasse ce cadre puisque ce sont des traditions qui concernent plusieurs minorités ethniques du sud-ouest de la Chine.

A Jiangyong, les femmes ont un étage réservé dans la maison où elles pratiquent le Nügong 女红, c’est-à-dire un artisanat autour des travaux d’aiguilles. Elles se réunissaient pour broder, chanter des chansons traditionnelles, et écrire le nüshu. Elles n’apprenaient pas l’écriture officielle des sinogrammes qui était réservée aux hommes, mais les jeunes filles qui le désiraient apprenaient à écrire le nüshu, auprès des ainées de leur propre famille ou auprès d’autres femmes. Elles l’apprenaient au moyen des chants, qu’elles commençaient par recopier, puis quand elles savaient écrire les chants, elles commençaient à écrire leurs propres textes.

Elles brodaient aussi des caractères nüshu sur des mouchoirs, sur des vêtements, elles l’écrivaient sur des éventails en papier. 

Artisanat brodé en Nushu

Coutumes nüshu

L’écriture Nüshu n’avait pas un caractère secret, mais elle était considérée comme subalterne, elle était réservée à un usage privé, exclusivement féminin, mais il y avait aussi des usages publics, par exemple au temple, ou lors de compétitions lors des fêtes traditionnelles, ou lors de la lecture publique à l’occasion des mariages. 

Le Nüshu avait un rôle social et constituait le ciment de la communauté des femmes. Il y avait deux coutumes qui ont servi de bases au développement du nüshu, s’articulant autour des deux moments de la vie des femmes : quand elles sont jeunes,  elles pratiquent la coutume des sœurs jurées (jiebaizimei) 结拜姊妹 , qui est en quelque sorte le terreau de l’écriture nüshu : deux jeunes filles peuvent se prêter serment, avec l’accord des familles, cela donne lieu à des échanges de lettres, de cadeaux, les sœurs jurées s’apprennent le nüshu entre elles, et pratiquent le nügong ensemble. Certains cercles pouvaient compter jusqu’à 6 ou 7 sœurs jurées. Ce lien était très fort, elles s’écrivaient des lettres assez passionnées, et ces amitiés adolescentes pouvaient aller parfois jusqu’à l’homosexualité. 

Lorsqu’elles se mariaient, donc c’étaient des mariages arrangés, elles suivaient la coutume du buluofujia (on ne s’installe pas dans la famille du mari): c’est-à-dire qu’elles revenaient chez elles le troisième jour après le mariage, elles retournaient dans la famille du mari pour les fêtes, et ne s’y installaient définitivement qu’avec la naissance du premier enfant. Leur retour donnait lieu à la remise d’un Sanzhaoshu 三朝书 ou Livret du troisième jour, où les autres femmes avaient inscrits leurs voeux de mariage, leurs conseils, mais aussi la douleur d’être séparées. Souvent, on commentait les textes, on évaluait leur valeur littéraire. On accordait à ces Sanzhaoshu une grande valeur, les femmes y conservaient leurs schémas de broderies, le complétaient et elles se faisaient enterrer avec (ce qui explique que peu de documents ont été retrouvés).

Le mariage représentait un bouleversement dans leurs vies, elles partaient souvent dans des villages éloignés, et leur vie devenait souvent très difficile, elles devaient parfois faire face au veuvage, à la mort d’un enfant. Elles écrivaient à leurs sœurs jurées pour raconter leurs difficultés, leur souffrance et à ce titre, leurs lettres gardent la trace de la petite histoire, et apporte un éclairage sur la vie quotidienne des femmes de cette époque, sur leur propre vision de la société et de la place qu’elles y occupaient.

L’historique du nushu au XXeme et XXIe siècle

La redécouverte de l’écriture nüshu. 

Le déclin : Le Nüshu a été très populaire à l’époque des Qing (1911) dans la région de Jiangyong, avec jusqu’à 70 % des femmes qui écrivaient le nüshu, et dans quelques autres villages (Guangxi), avec lesquels ils entretenaient des liens matrimoniaux. Avec l’accès des femmes à l’écriture chinoise au 20e siècle, son usage avait commencé à décliner. Après 1949, l’écriture nüshu a été considérée par le pouvoir communiste comme une écriture subversive, une écriture de sorcières, puis elle a été taxée de ‘vieillerie’ pendant la révolution culturelle et à ce titre, éliminée, des documents brûlés sur la place publique. Elle était donc en état de disparition. 

La sauvegarde : 

Elle a été tirée de l’oubli après l’ouverture des années 80 par des linguistes et des ethnologues chinois et étrangers. On l’a répertoriée, analysée et des actions de sauvegarde ont été entreprises : je citerai notamment la création en 2002 d’un « Village de la culture nüshu » « 女书文化村 » à Jiangyong, avec un musée, un atelier de Nügong (artisanat nüshu), des salles d’exposition, des démonstrations de chants et des classes d’enseignement du nüshu. Le nüshu représente aujourd’hui une valeur de développement économique, un village privé de la culture nüshu a également ouvert en 2003 à Yichang au Hubei. Le développement du tourisme comporte d’une part un risque de folklorisation de la culture, mais d’un autre côté, il assure la promotion du nüshu. A Jiangyong, un Musée de l’environnement de la culture nüshu a été financé en 2005, et le gouvernement de Jiangyong essaie de faire revivre les compétitions, les fêtes traditionnelles.

Aujourd’hui l’écriture est sauvegardée, mais la culture féminine nüshu est plus difficile à préserver, à cause de l’organisation sociale moderne et de la disparition des cercles des sœurs jurées. Les jeunes filles d’aujourd’hui sont peu nombreuses à trouver dans son apprentissage une utilité sociale ou économique sauf à travers le tourisme ou un sentiment de sauvegarde culturelle qui passe encore de mère en fille.
De nouveaux développements de l’écriture nüshu, avec une nouvelle calligraphie, plus épaisse que l’originale, a vu le jour depuis plusieurs années. Des artistes en reprennent les signes, parfois en les modifiant, à travers le monde, en faisant un objet uniquement esthétique. De façon plus générale,  le nüshu a connu un nouvel engouement, depuis le roman de Lisa See et la sortie du film en 2011. L’usage des nouvelles technologies, alliées contemporaines et efficaces de sa sauvegarde, peut redonner une impulsion à cette tendance.

Martine SAUSSURE-YOUNG 苏梦婷 

Eventail bilingue chinois mandarin/ écriture nüshu,
en vente au Village de la Culture nüshu à Jiangyong en 2007.