Le pays du nüshu
LOCALISATION DES VILLAGES
Le district de Jiangyong
Historique de la localisation de la culture nushu.
Le district de Jiangyong est une région qui couvre une surface de 1627 km2, avec une population de 230.000 habitants (en 2007 NDLR). C’est une région reculée du sud du Hunan 湖南省, en Chine continentale. C’est une région de montagnes, avec de nombreuses vallées isolées, qui étaient difficiles d’accès où l’on trouve historiquement depuis 600 ans une mixité entre les populations d’origine Yao et Han, vivant en autosuffisance. Le statut des femmes semblait y être particulier. Dans un contexte géographique et agricole favorable, des terres riches, de l’eau en suffisance, les femmes développent l’artisanat textile : coton, couture, chaussures, tissus et broderies (Nügong 女紅, l’art des femmes). La pratique est de se réunir chez l’une d’elles pour ces travaux, d’y réciter des poésies et de chanter des chansons traditionnelles.
L’usage du nüshu est attesté dans le district de Jiangyong 江永県. La très grande majorité des documents y ont été retrouvés, car c’est là que le nüshu était le plus populaire, autour du village de Shangjiangxu 上江圩.Mais on a également retrouvé des documents en nüshu dans le district de Jianghua, dans la région autonome Yao de Dayaoshan (江华瑶族自治区的大瑶山 Jianghua yaozu zizhiqu dayaoshan). Dans le district de Daoxian 道县, au temple Niang Niang Miao 娘娘庙, des caractères ressemblant à l’écriture nüshu ont été retrouvés sur une pierre tombale qui comporte des caractères inconnus et des numéraux écrits inclinés qui pourraient éclairer l’origine des caractères nüshu. Ce temple était connu pour abriter les activités des femmes tout comme celui de Huashanmiao 花山庙 à Jiangyong.
Des chants antijaponais écrits en nüshu se sont aussi répandus dans d’autres villages dans la période de la Seconde Guerre mondiale lors de l’invasion de la Chine par le Japon[1]. On a également retrouvé trois livrets de mariage du 3ème jour sanzhaoshu dans la province contiguë du Guangxi, à Zhongshan 广西钟山县. Une pièce de monnaie portant des caractères nüshu a été retrouvée dans les environs de Nanjing et a longtemps constitué une énigme (voir chapitre : La controverse des origines). Enfin, un morceau d’une stèle gravée portant une vingtaine de caractères nüshu a été retrouvé à la fin de septembre 2005 sur un pont datant de la dynastie Song (960-1277) dans le district de Dongan dans le bourg de Luhong东安县芦洪市镇 (près de la ville de Yongzhou 永州). Sa localisation, à 150 km au nord de Jiangyong, sur une route de passage qui reliait Changsha au Guangxi, en a fait une découverte majeure qui avait remis en question un certain nombre de théories construites autour du nüshu.
Paysages de la région : Voici quelques paysages du district de Jiangyong tels qu’ils étaient en 2007 et 2008. Certaines maisons étaient très anciennes, depuis beaucoup ont été rénovées depuis. La gare n’était alors qu’en cours de construction. On accédait à Jiangyong après un (très) long voyage en autobus. Et l’aventure commençait…
POUR ALLER PLUS LOIN … LOCALISATION DETAILLEE
Les villages où ont été retrouvés des écrits nüshu
Lu Xixing dans son sous-chapitre sur « la diffusion du nüshu [2]», a répertorié en 2003 les endroits précis où le nüshu avait été populaire dont nous vous donnons ci-dessous la traduction :
« La majorité des écrits ont été retrouvés dans toute la région du district (xian) de Jiangyong, dans plusieurs cantons (xiang) du nord-est situés autour du canton de Shangjiangxu 上江圩乡 avec lequel ils entretenaient tous des liens maritaux : Huangjialing 黄甲岭乡,Qianjiatong 千家峒乡,le bourg de Chengguan 城关镇, les fermages de Tongshanling 铜山领.
Dans le village de Xiaoli 崤里村, au sud-est du canton de Shangjiangxu, presque toutes les filles connaissaient le nüshu avant les années 50. C’est dans le centre du canton, à Xiawan 下湾村, que le nüshu était le plus vivace, il était utilisé pour les cadeaux entre sœurs jurées[3]. Avant la Révolution, les filles étaient nombreuses à le pratiquer, on cite les noms de He Zhuanzhuan 和转转, Chen Baohe 陈玉河, Hu Shanzi 胡扇子, Jiang Tutu 蒋土土, He Huayue 何花月, Tan Dafeng 覃大风.
A Puweicun 蒲尾村, qui se compose du Grand Puwei (dapuwei 大蒲尾) et du Petit Puwei (xiaopuwei 小蒲尾), Gao Yinxian[4] 高银仙 avait six sœurs jurées en dehors du village, qui savaient toutes lire et/ou écrire le nüshu : Hushezhu 胡池珠, Lu Yueyu 卢月玉, Lu Shuyu 卢书玉, Gao Jinyi 高金义, Yi Nianhua 一年华, Tang Baozhen 唐宝珍. Il y avait aussi Ou Miaoyu 欧庙玉, Gao Shuishu 高水梳, Gao Sanshan 高三山.
A Tongkou 桐口村, au nord du chef-lieu, vivait Yi Nianhua[5] 义年华. Elle était née dans le même canton, à Tangxia 棠下村, où elle avait appris le nüshu auprès de sa tante, puis elle était venue à Tongkou pour se marier à l’âge de 18 ans. Quand elle en avait eu 29, son mari était mort de maladie, elle s’était alors passionnée pour le nüshu et avait écrit des œuvres de très grande qualité. On raconte que la première femme à avoir inventé le nüshu est née de l’autre côté du fleuve, en face de Tongkou, à Jingtian 荆田村, précisément, et que c’était une des femmes du Palais de l’Ouest de l’empereur Qinzong des Song du nord (1125-1127).
Le canton de Xiaojiang 潇江乡, au centre du district de Jiangyong, proche de Shangjiangxu, était un des endroits où le nüshu était le plus vivace (dans les villages de Baishui 白水村 et Jianghe 江河村).
Tongshanling 铜山岭 se situe au nord, aux confins des districts de Jiangyong, Dao et de la région autonome Yao de Jianghua. Difficile d’accès, cet endroit est situé dans les montagnes et les forêts, il rejoint au sud-ouest le village de Heyuan 河渊村 dans la région montagneuse de Lushan 麓山, et au nord-ouest le canton de Shangxu. A Tongshanling 铜山岭, les Hans s’étaient métissés avec les Yao 瑶族 qui tenaient autrefois les fermes et leurs us et coutumes s’étaient mélangés. D’après les vieux, dans les années 20, plus de 70% des femmes de la région de Shangjiangxu, Huangjialing et Sujiang pratiquaient le nüshu avec Shangjiangxu comme fer de lance.
Les villages de Heyuan et Shangjiangxu se mariaient entre eux et beaucoup de femmes adultes et âgées y comprenaient le nüshu. Yang Huanyi 阳焕宜, née en 1909, l’écrivait, Hu Sisi 胡四四, née en 1919, le chantait, Zhu Yundi 朱云娣, née en 1937, l’avait appris auprès de Yi Nianhua义年华 ; elles venaient toutes de Shangjiangxu. Quand elles allaient y vivre une fois mariées, elles montraient aux femmes de Heyuan comment écrire et chanter le nüshu, aussi quand celles-ci venaient vivre à Shangjiangxu, elles savaient souvent le chanter.
Shangjiangxu (district de Jiangyong) et le village de Tianguangdong 田广洞村 (district de Dao道县) étaient voisins. Au début de la Révolution, les filles de 20 à 30 ans savaient presque toutes le nüshu, mais elles ont été taxées de « sorcières », et les caractères nüshu ont été considérés comme des « caractères maléfiques ». Au fil des destructions des campagnes politiques qui se sont succédé, le nüshu a disparu sans presque laisser de trace : dans les années 1980 et 1990, les femmes qui le comprenaient avaient toutes plus de 60 ans, et il ne restait plus que quatre livres en nüshu. Presque toutes venaient de Shangjiangxu ou de lieux qui avaient été en contact avec le village.
Dans la région, le canton de Shangjiangxu était donc le centre de l’ère de répartition du nüshu qui comptait 25 autres villages.
Au Guangxi, au nord-est de la région autonome Zhuang 广西壮族自治区, qui compte les districts de Fuchuan 富川县 et de Zhongshan 钟山县, on a également retrouvé récemment un ouvrage nüshu qu’avait gardé Liangyongxin 梁永新. C’était le vieux Luozhai 罗宅 qui le lui avait offert autrefois, et lui-même le détenait de sa femme. Huang Zhengmei 黄正妹, une vieille femme d’origine yao du village de Xingzhai 星寨村 (district de Honghua 红花) racontait qu’elle avait amené le nüshu dans cet endroit : elle brodait des ceintures Yao d’après les motifs nüshu, car dans son village d’origine, à Zhapaitou 扎排头村, toutes les femmes savaient coudre, chanter et broder. A Fuchuan et Zhongshan, qui étaient situés à proximité de Jiangyong au Hunan, on savait que le nüshu y était populaire et sa diffusion était assurée à travers les mariages.
Les jeunes mariées amenaient avec elles non seulement le savoir nüshu, mais aussi leurs œuvres. Cela a naturellement créé un noyau de diffusion dans les régions environnantes, dont l’essence étaient les relations maritales.[6]»
Carte des environs de Shangjiangxu : de Jiangyong (sud) à Dong-an (nord). Source : http://www.jlb56.com/oa/map/hunan.jpg
[1] Voir à ce sujet la liste des villages répertoriés sur le site d’Endo Orié.
[2] Lu Xixing 陆锡兴,2003, sous-chapitre第二届, « 女书的流传 », p.201-204.
[3] Jeunes filles qui avaient scellé un serment de fraternité ; voir chapitre sur la coutume des sœurs jurées.
[4] Une des vieilles femmes expertes en nüshu, une figure locale du nüshu.
[5] Autre figure célèbre du nüshu.
[6] Lu Xixing, 2003.