Les origines de l’écriture nüshu
La controverse sur les origines
Beaucoup d’incertitudes demeurent sur l’origine de l’écriture des femmes et il n’existe pas d’explication uniforme. On n’en trouve pas trace dans l’histoire, car étant exclusivement féminins, ces caractères étaient considérés comme subalternes et mineurs. Les corpus retrouvés jusqu’en septembre 2005, presque entièrement sur tissu et papier, ne dataient pas de plus d’une ou deux générations, et le plus vieux remontait à moins de 200 ans. Le nüshu était écrit sur le papier, les éventails, les mouchoirs ou les broderies et quand une femme mourait, elle se faisait enterrer avec ses œuvres, excepté les souvenirs qu’elle laissait pour ses sœurs jurées. De plus, beaucoup de corpus ont été massivement détruits au cours des mouvements politiques de la révolution culturelle. Les études ont donc porté sur un nombre limité de documents.
On trouve plusieurs légendes qui s’entrecroisent sur l’invention de l’écriture par une femme. Dans le monde scientifique, les théories sont très diverses et certaines très éloignées l’une de l’autre. Certains chercheurs pensaient que l’écriture est antérieure à la dynastie Qin (221-207 av.J.C.), d’autres affirmaient qu’elle remonterait aux Jiaguwen 甲骨文 (inscriptions sur os de la dynastie Shang 16-11e siècle av. JC). Certains chercheurs pensaient qu’elle découle d’une ancienne écriture du royaume Yi ou bien d’une écriture de l’ethnie Yao et des recherches ont été menées en collaboration avec des chercheurs sur les écritures anciennes. D’autres la faisaient remonter à la dynastie Tang (618-907) à cause du style de ses poèmes.
Plusieurs chercheurs concluaient que le nüshu était dérivé des caractères chinois et probablement originaire du début de la dynastie Ming (1368-1644). Certaines complaintes comme Madame Wang 王氏女 sont des contes lyriques chinois de l’époque très connus des femmes de Jiangyong et appartiennent au même genre littéraire.
La découverte d’une pièce de cuivre à Nanjing datant du royaume des Taiping 太平天国(1851-1864) comportant la mention « Toutes les femmes sur terre sont une seule famille » avec l’énigme de ces mots “天下婦女” et “姉妹一家” écrits sur la monnaie en caractères nüshu, indique que le nüshu était en usage dans la deuxième moitié du 19e siècle à Nanjing, et cela a étayé la polémique. Demeure aussi le mystère des caractères inconnus relevés sur des pierres tombales en nüshu au temple de Niang Niang Miao. La découverte fin septembre 2005 d’une inscription gravée sur pierre sur une stèle d’un pont datant de la dynastie Song, est venue apporter un nouvel éclairage sur l’origine de l’écriture et sur les théories développées.
Les légendes nüshu
Yang Huanyi rapporte que c’est « très ancien », il existe plusieurs versions d’une légende d’une fille qui fut donnée en épouse à l’empereur et qui, une fois devenue concubine impériale, inventa une écriture secrète pour communiquer avec ses camarades restées au pays. On trouve aussi des légendes de jeunes filles très brillantes, dans plusieurs versions, expertes en nügong, présumées être à l’origine de l’écriture nüshu. On peut voir à ce sujet en annexe les légendes racontées par Gong Zhebing dont nous donnons un aperçu ci-dessous :
La légende de la femme du palais 宫女造字:
A une époque indéterminée, une très belle jeune fille fut choisie comme femme du palais par l’empereur. Mais elle dépérissait et voulut écrire à ses amies restées au pays, elle utilisa une écriture cachée, en leur recommandant comment la lire de biais.
La légende de Pan Qiao à Tongshan 桐山村 盘巧姑娘造字
Il était une fois une jeune fille extrêmement intelligente, à 3 ans elle savait chanter, à 7 ans elle brodait, à 18 ans elle était extrêmement habile en artisanat nügong. Elle était aussi très belle et un jour qu’elle était allée se promener, des chasseurs l’enlevèrent et l’emmenèrent à la préfecture de Daozhou. Ses parents et ses sœurs jurées furent désespérés et pleurèrent toutes les larmes de leur corps. A Daozhou, Pan Qiao était traitée comme une esclave et chercha un moyen pour être sauvée. Elle imita les dessins qu’elle brodait d’après le modèle d’une très ancienne écriture et inventa chaque jour un caractère, en trois ans elle en avait inventé 1080. Elle réussit à écrire une lettre à ses sœurs jurées, et c’est ainsi qu’elles apprirent où elle était détenue. Elles envoyèrent alors des parents pour la sauver. Depuis, cette écriture s’est répandue et a perduré jusqu’à nos jours.
La légende du bébé de neuf livres 九斤姑娘
A Tongkoucun naquit un jour une fillette qui pesait 9 livres. En grandissant, il s’avéra qu’elle chantait très bien, était très intelligente et son artisanat était si parfait qu’elle avait des sœurs jurées à des dizaines de kilomètres. On dit que c’est elle qui inventa les caractères afin de pouvoir leur écrire.
Dans l’histoire de Jiangyong, il s’avère que deux jeunes filles ont été effectivement choisies comme concubines impériales. Pendant les Cinq dynasties (900), l’empereur de Chu, Mayin, choisit à Zhongshijian 中石枧村 une fille de la famille Zhou 周氏姑娘 pour être princesse consort ; à la mort de l’empereur, elle devint nonne bouddhiste et établit un temple dans son pays d’origine et devint ascète. A la fin des Ming, l’empereur Yongli 明末永历皇帝, sur la route de Guangzhou à Guilin, choisit une jeune fille à Liantangcun莲塘村, après la mort de l’empereur, celle-ci devint également nonne bouddhiste. Le fait que ces histoires se soient propagées et aient eu le temps de devenir des légendes semble attester l’ancienneté de l’écriture nüshu, bien que la diffusion des contes ait été facilitée par la petitesse du lieu de sa diffusion.
L’imitation des caractères chinois
Des chercheurs comme Zhao Liming 赵丽明 (Université de Pékin) pensent que le nüshu était dérivé des caractères chinois : » la raison première de la naissance de cette langue fut le fait que les femmes vivaient dans l’illettrisme forcé, elles ne pouvaient pas aller à l’école et personne ne leur enseignait les Hanzi, l’écriture chinoise« . Gong Zhebing (宮哲兵Université de Wuhan武漢大学) les associe quant à lui au mouvement des femmes et à l’autonomie relative dont elles jouissaient dans les sociétés de l’ouest de la Chine. Il les voit comme une sorte de résistance au mouvement confucianiste et au mariage traditionnel forcé.